LES NOMS DE RUES …
Les noms de rues de Cugnaux ont parfois une longue histoire.
Certains noms de rues portent des noms de fleurs, d’arbres. Ils ne répondent à aucune préoccupation environnementale et sont le reflet d’‘une époque où on (la municipalité) souhaitait être le plus neutre possible. (1965 /1975).
D’autres périodes ont vu les municipalités plus audacieuses et plus créatives en recherche d’unité par quartiers (guerre 14/18, Résistance, Peintres, Philosophes, Mathématiciens, aéronautique ….).
On a aussi, quand cela était possible, utilisé les noms des anciens lieux-dits.
Certains noms de rues relèvent d’une histoire locale : Saudade, Ariège, Amour Trompé par exemple. Ils nous intéressent.
C’est ainsi que l’on trouve la rue « DE L’AMOUR TROMPÉ » non loin de la rue de la Cassagnère. Nom qui interroge et qui suscita quelques réactions de certains habitants qui se voyaient mal affublés d’une telle adresse. D’où vient ce nom ?
Nous allons essayer d’apporter une réponse.
1 – CARTE CASSINI (XVIIIème siècle)
Le nom du lieu-dit, situé dans la zone de recherche s’appelle donc « LA MORT TROMPE »
2 – XIXème SIÈCLE
On retrouve sur différents recensements et sur la liste des quartiers périphériques de Cugnaux le quartier de la « Mortrompe ».
Recensement 1891
Liste des quartiers
Recensement 1886
Liste des quartiers
3 – XXème SIÈCLE
Conseil municipal du12/11/1905 : recensement des quartiers pour fixer le montant de la distribution des dépêches télégraphiques
COMMENT EST-ON PASSÉ EN MOINS DE 50 ANS DE « LA MORTROMPE » À « L’AMOUR TROMPÉ » ?
Les Cugnalais nés au début des années 1920 nous ont fourni un élément de réponse : la CABANE !!!
4 – LES CABANES
En 1885, la monographie communale de l’instituteur Proudhom indique : « La vigne est la principale culture du pays ; sur 1300 hectares de terre, 1000 sont affectés à cette culture… », soit plus de 75% de la surface de la commune.
Au cours du dix-neuvième siècle, le développement économique et la baisse de la rente foncière permirent aux brassiers (ouvriers agricoles), laboureurs, maître-valets et autres métayers d’acquérir des lopins de vignes (on achetait en sillons de vigne) et de muer pour certains en petits « propriétaires exploitants ».
Cette structure agricole n’avait rien à voir avec les grands domaines (Maurens, Rachety notamment) des chatelains de Cugnaux, dont les terres étaient regroupées autour des fermes du châtelain.
Pour les petits propriétaires exploitants, et les artisans propriétaires (tonneliers, charrons …) de vignes, les parcelles étaient dispersées aux quatre coins de la commune et sur les communes voisines (Villeneuve, Tournefeuille). Donc quand on partait travailler sa vigne, on ne faisait pas d’aller-retour, on y passait la journée. Comme dans d’autres régions viticoles, quand les parcelles étaient suffisamment importantes, on construisit des cabanes pour se mettre à l’abri avec son cheval et se reposer. (dans le Languedoc, ceux sont des capitelles).
La plupart des cabanes faisaient entre 10 et 20m², entièrement ouvertes sur une face. Certaines très excentrées du village étaient plus importantes entièrement fermées avec cheminée et râtelier à l’intérieur. On pouvait y séjourner avec son cheval.
Aujourd’hui elles ont toutes disparu, même dans les zones encore cultivées, démolies en même temps que le remembrement des terres pour les cultures céréalières.
On en trouve les traces dans les actes notariés et dans les photos aériennes des années 1950.
1932 : acte de partage entre un frère et une sœur héritiers de Joseph MOLINIER, tonnelier. (François MOLINIER et sa sœur Madeleine MOLINIER, épouse ICOT, et future belle-mère de Jean DARDÉ maire de 1944 à 1977)
On peut identifier les cabanes sur les photos aériennes des années 1950.
Cabane de PE D’ESTEBE, mentionnée dans l’acte de partage ci-dessus.
Ci-dessous cabane située au « Petit-Marquisat » sur Tournefeuille à la limite de Cugnaux, face au bois de la Ramée. Cette cabane est plus importante, entièrement fermée avec cheminée, râtelier, et accessible par un véritable chemin.
On trouve maintenant à cet endroit, un peu plus près de la route, un excellent marchand de produits régionaux à base de canard.
Donc il y avait des cabanes disposées aux alentours du village. Elles remplissaient une fonction technique pour le viticulteur, mais elles pouvaient remplir aussi une fonction sociale. Lieu isolé, c’était un endroit propice aux rencontres amoureuses loin des regards.
(Note : la cabane de la Ramée par sa qualité (cheminée), sa taille et son isolement fut utilisée par une bande de jeunes baby-boomers cugnalais jusqu’à la fin des années 1960.)
Aussi quand on demandait, pourquoi le nom d’Amour Trompé, la réponse fusait : il y avait là une fameuse cabane.
Ainsi les amours « illicites ou pas » fleurissaient dans le secteur, et probablement au cours de l’entre-deux guerres la mort est devenu l’amour. Ce qui était un progrès évident.
Le glissement de « La mort Trompée » à « L’Amour Trompé » illustre le triste destin des Hommes, il est plus facile de tromper l’Amour, avec ou sans cabane, que la Mort.
« La mort révèle l’amour. » Vladimir Jankélévitch
« Le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort. » Oscar Wilde